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Christophe Baticle, Jacques Cauvel, joueur de longue paume (1923-2005)

Christophe Baticle, Jacques Cauvel, joueur de longue paume (1923-2005)

Christophe Baticle, Jacques Cauvel, joueur de longue paume (1923-2005)

Christophe Baticle
Maître de conférences en socio-anthropologie
Aix-Marseille Université (France)
Équipe de recherche : UMR LPED (AMU-IRD)
Associé à l’ER Habiter le Monde (Université de Picardie Jules Verne, Amiens)

pdfChristophe Baticle Jacques Cauvel joueur de longue paume 1923-2005.pdf

Article paru dans le bulletin annuel de la Société historique de Breteuil-sur-Noye (département de l’Oise, ancienne région de Picardie, France) d’avril 2025.

Un phénomène discret… un prodige à redécouvrir?
Qu’est-ce qui fait d’un individu une personnalité passée à la postérité ? À cette question complexe, on serait tenté de répondre que c’est une certaine propension à s’élever au-delà du commun qui produit la notoriété : brio technique, excellence des qualités, performances hors du commun, entre autres facultés à même de vous faire émerger de la banalité. On nous objectera que toute personne est exceptionnelle si on veut bien la regarder autrement, et c’est là également un raisonnement juste. Tout est question de critères d’appréciation au fond, lesquels varient grandement selon les époques, les sociétés, les cultures, en fonction des milieux sociaux considérés, voire à partir d’une grille de valeurs qui emprunte à l’individualité de chacun. Une illustration peut en être donnée avec les activités physiques qui n’ont d’autre finalité que la performance ou le bien-être, longtemps cantonnées qu’elles furent dans le registre du futile. Il aura fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que l’amusement et le divertissement (desport en ancien français - Voir Philippe Sarremejane, Éthique et sport, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2016, chapitre 1 : « Qu’est-ce que le sport ? », ici page 9) puissent être considérés comme des activités susceptibles d’attirer la reconnaissance sociale. En la matière, c’est surtout une des déclinaisons de desport, à savoir le sport, qui va connaître un succès considérable. Dans ce domaine, on ne compte plus les records quant au dépassement des limites humaines : plus vite, plus haut, plus loin semblent être devenus des moteurs de réalisation personnelle tout au long du XXe siècle. Le sportif accompli est ainsi entré dans un nouveau Panthéon, le stade et ses divinités laïques, voire au-delà avec le « Dieu Maradona » et son église forte de 80 000 à 100 000 membres à travers le monde.
Quoi qu’il en soit, être exceptionnel n’assure pas d’une renommée. Pour prendre un exemple contemporain, l’acceptation de sa banalité est en passe de devenir exceptionnelle dans notre monde où on ne jure plus que par la reconnaissance des likes. Sur les réseaux sociaux, nombre d’influenceurs n’ont pour talent que celui de s’afficher. Il ne s’agit pas là de le critiquer, dans un esprit chagrin et nostalgique, mais force est de reconnaître qu’on peut légitimement s’interroger sur ce qui fait désormais le succès, en dehors parfois d’être une personnalité dans « l’air du temps », d’incarner par sa manière d’être une tendance contemporaine, qui restera peut-être et pourtant un épiphénomène à l’échelle du temps long.
Notre question de départ intéresse ainsi l’historien, ce professionnel de la connaissance sur notre passé qui ne se contente pas de relater des faits, contrairement à ce que l’on pense souvent. Cet historien est encore un accoucheur de célébrités en s’intéressant à des personnages oubliés du présent, exhumant des archives les textes qui révèlent l’influence de tel ou telle sur une période, un mouvement d’idées, un événement crucial dans le cours du monde.
Plus sûrement, passer à la postérité implique des relais : on ne devient pas célèbre par la seule force de son talent, mais aussi parce que cette célébrité est une construction, bâtie pierre après pierre, relayée ici et là. Certains personnages de l’histoire ont eux-mêmes contribué à se rendre populaires. On pensera au Britulien le plus en vue encore aujourd’hui : Hippolyte Bayard (1801-1887), inventeur d’un procédé photographique sur papier, certes, mais également metteur en scène de sa propre célébrité, contestée de son temps. N’a-t-il pas créé le premier canular photographique de l’histoire (?), en se montrant sur un cliché de 1840 où on pouvait le penser noyé, poussé au suicide par le désespoir de s’être vu ravir le succès par son grand concurrent, Louis Daguerre (1787-1851), considéré comme le véritable inventeur de la photographie. Cette réputation auto-construite pourra paraître suspecte et mue par l’égocentrisme. Il ne nous appartient ni d’en juger, ni de retirer à Bayard ses mérites incontestables. Une chose est certaine, on devient rarement immortel par pur hasard, sauf à être au bon endroit, au bon moment, à la manière du général Cambronne à Waterloo, à qui on attribue (peut-être à tort) un mot vulgaire, mais qui avait pour avantage de servir le mythe napoléonien.
Reste une question plus complexe encore, parce que souvent non posée : que dire des humbles exceptionnels, ces femmes et ces hommes qui, tout en sortant du lot, n’ont rien fait pour passer sous les rampes de la célébrité ? Plongés dans l’ombre, il existe en effet, proches de nous, de tels personnages, restés anonymes malgré leurs performances hors du commun, maintenus dans les oubliettes de l’histoire faute de passeurs.
Je voudrais, par ce petit texte, apporter une contribution à la mémoire d’un homme qui fut un prodige de son époque. Il me paraît de plus en plus évident qu’il le mérite amplement, raison suffisante pour le mettre en lumière. Pour cela, il va falloir vous en convaincre et je sais la partie non gagnée d’avance. Mais je mise que vous me laisserez une chance de vous en persuader et j’espère qu’à la fin de votre lecture ce sportif discret aura gagné un peu de votre estime. Rendre justice à ce phénomène de l’après Seconde Guerre mondiale, c’est mettre haut la barre et donc tenter de se hisser à sa hauteur. Aussi, s’il vous reste un doute sur le talent que je me propose de relater, mettez-le sur le compte de mon incompétence à utiliser les bons arguments, mais soyez persuadé qu’on ne réalise pas un tel parcours sans disposer d’une indéniable exceptionnalité.

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 Pourquoi vouloir sortir Jacques Cauvel de l’anonymat ?

Puisqu’il s’agit de se donner le rôle de passeur, commençons par nous expliquer quant à nos motivations et tentons de le faire avec autant d’honnêteté que possible. Si Jacques Cauvel est aujourd’hui un inconnu pour le grand public, il ne l’était pas tout à fait dans le monde de la longue paume auquel j’ai appartenu. Dans les années 1980, quelques aînés se souvenaient encore assez bien de lui comme d’un « grand joueur ». Enfant, j’ai ainsi eu quelquefois l’occasion de l’observer sur le bord des terrains, en fin connaisseur qu’il était du jeu qui se déroulait devant ses yeux. Mais il faut bien le reconnaître, c’était alors quelqu’un qui avait dépassé la soixantaine et il ne faisait pas partie de nos idoles.
C’est grâce à notre mentor, Jacques Deshabit (1924-2006), celui qui nous a formés en tant que paumistes, à Plainville, que nous avons le plus entendu évoquer ses prouesses. Notre Jacques à nous ne tarissait pas d’éloges à son égard. Cauvel l’avait impressionné, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils étaient de la même génération, seulement séparés d’une année : 1923 pour Cauvel, 1924 pour Deshabit. Parmi les multiples qualités du brillant joueur, sa compétence pour le revers comptait au nombre des toutes premières. « Il jouait aussi bien du revers que du coup droit » répétait inlassablement Jacques Deshabit. Ce qui ne l’empêcha pas de nous enseigner l’art du déplacement pour nous éviter ce revers tant redouté : toujours tourner autour de la balle afin de se mettre « à sa main », répétait-il inlassablement. Dans sa conception du jeu, un paumiste talentueux devait avant toute chose savoir être mobile pour ne jamais se laisser prendre sur son point faible, le revers. Pourquoi une telle contradiction apparente ? C’est que la longue paume est un sport où la balle est une ingrate. Pour se le représenter il faut imaginer une sphère composée de morceaux de liège collés les uns aux autres et recouverts de flanelle, le tout évoluant généralement entre 15 et 18 grammes. Jouer avec une balle de 15 grammes est un enfer pour le bras. Et à juste titre, puisque propulser un objet aussi léger demande d’y consacrer toute sa force, voire de la développer. Ainsi, il est rare qu’un paumiste ne soit pas au maximum de ses possibilités à chaque coup, pour seulement se donner l’espoir d’un renvoi tout juste acceptable. Au casse-bras d’une 15 grammes tranche la facilité d’une 18 grammes, presque trop lourde dans certaines phases du jeu. C’est pour cette raison qu’on réserve ces balles « lourdes » à une modalité de jeu qu’on appelle la « terrée » (soit le six contre six), où la balle est autorisée à rouler par terre. Cela permet de frapper de toutes ses forces sans risquer de sortir trop rapidement des limites longitudinales du terrain. Car cette balle est encore volatile, capricieuse et peu encline à suivre les desiderata du joueur, même le plus habile. Pour le dire en un mot, une balle de longue paume est l’antithèse d’une balle rebondissante de tennis. Aux yeux d’un paumiste, il se passe une éternité entre le moment où cette dernière touche le sol et celui où il sera encore possible de la renvoyer. Au contraire, à la paume il s’agit d’être rapide par obligation, de ne pas laisser passer un dixième de seconde de trop, sans quoi la balle sera dite « morte », donc injouable parce qu’ayant déjà réalisé un deuxième bond fatidique sur le sol. Dans ces conditions le revers devient un geste scabreux, aléatoire, obligeant à une contorsion du corps exigeante, au ras du sol bien souvent. Rien d’étonnant à ce que Jacques Deshabit nous ait incités à l’éviter : tout le monde n’était pas Jacques Cauvel, dont acte. Ce dernier avait radicalement inversé la logique : puisque la balle s’avérait capricieuse il la dompterait. Cette faculté il la devait à un talent spécifique : son adresse. Cauvel avait tout simplement un doigté exceptionnel, une capacité à trouver l’optimum du petit tamis dont est dotée une raquette de longue paume. Ce tamis est ramassé pour permettre à la puissance de s’exprimer, mais cette caractéristique laisse un espace ridicule pour placer sa balle au point névralgique, à peine plus que sa circonférence. Dans le feu de l’action, c’est un peu comme glisser un œuf dans un trou de golf sans toucher les parois.
Mais les qualités de Cauvel, en matière de revers, ne s’arrêtaient pas là. Jacques Deshabit ajoutait qu’il était capable d’engager avec autant de puissance « d’un côté comme de l’autre ». « Quand il avait mal au bras, il tirait de revers ». C’était une originalité à laquelle nous avons tenté de nous adonner… sans grand succès. Même au tennis, on peine à imaginer un joueur engager efficacement de cette manière.

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Jacques Cauvel et Jacques Deshabit, lors d’une Fête de la longue paume à Plainville. À droite Michel Bellette, président de la société de longue paume de Quiry-le-Sec, qui fut aussi président de l’Union des sociétés de longue paume de l’Oise et des communes limitrophes du département, ici avec trois jeunes joueurs (Sylvie Godin, hebdomadaire Le Bonhomme picard, septembre 1995).

Le secret du maître du revers tenait probablement à son entraînement. On dit de lui qu’il s’exerçait même l’hiver, ce qui s’avérait rare dans ces temps où les salles de sport restaient réduites en nombre. Ce sera donc en plein air, sur le terrain de Tartigny, face au château, qu’il apprendra à peaufiner ses coups. Il faut reconnaître qu’il avait adopté la raquette très jeune, dès ses cinq ans, soit en 1928. Ce fut son père, Édouard Stéphane Michel Cauvel (né le 28 février 1892 à Tartigny et décédé le 24 juillet 1962 à Breteuil), alors président de la société de longue paume de Tartigny, qui l’initia dans un premier temps. Au vrai, il gardera toujours un œil sur le jeu de son fils prodigue, continuant à le conseiller alors qu’il était devenu un champion accompli. Son principe est alors simple : toujours renvoyer la balle une fois de plus que son adversaire. Derrière cette simplicité une logique, devenir un inlassable renvoyeur, sans nécessairement chercher à « casser le jeu » par des coups non relançables, mais permettant de « traverser » (soit de changer de côté sur le terrain). L’école Cauvel se place aux antipodes de ces changements. Autrement dit, il s’agit de « faire jouer » l’adversaire, gage d’échanges très spectaculaires. C’était ainsi le style d’une époque où les raquettes de bois étaient lourdes pour les bras, rendant plus évidents ces longs gestes partis de loin pour venir percuter la balle à la manière d’un lourd et puissant balancier. Style qui restera la marque de fabrique de Tartigny plus longtemps qu’ailleurs, et que transmettra un autre grand nom local, René Leclaire (né en 1943). Alors que dans les années 1980 la paume passait progressivement au coup sec et plongeant, selon le nouveau style qu’illustrait bien François Lesko (né en 1963, licencié à Rosières-en-Santerre), Leclaire quant à lui maintenait la philosophie de ses ainés : gagner un point (on dit « quinze » dans les jeux de paume) consistait toujours à renvoyer une fois de plus que son adversaire, ce qui ne l’empêcha nullement de devenir lui aussi champion de France en individuel première catégorie, entre autres succès.

Jacques Cauvel, toujours présent à Tartigny, à droite sur la photographie
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Document confié par Benjamin Blériot

Si Cauvel avait été joueur de pelote

Jacques Cauvel était ainsi un paumiste de renom, aux excentricités admirées de ses contemporains, mais pas encore un sportif d’exception. Patience. Le monde paumiste est un tout petit monde où la célébrité peine à dépasser les limites de l’entre-soi. Pourtant, les qualités exigées sont multiples, à commencer par la combinaison entre une puissance poussée à son maximum et une adresse capable de maîtriser cette balle indocile. On ne s’étonnera pas que l’excellence y soit aussi rare.
La première étape dans le parcours de ma conviction commence avec un petit texte publié en février 2023, dans la rubrique du « Document du mois » du site internet de la Société historique de Breteuil. Je cherche alors un exemple pour illustrer cette adresse élégante qu’introduit l’invention de la raquette dans les jeux de balle. Traitant de la place du jeu de paume à Breteuil, il me faut un exemple britulien et c’est évidemment l’image de Jacques Cauvel qui s’impose à ma mémoire. Cette simple remarque sur le « style Cauvel » n’échappe pas à notre collègue Bernard Maillard, qui me sollicite pour un texte sur le joueur en question. Pourquoi pas, si ce n’est que je le connais peu au final. J’interroge alors des joueurs de ma génération qui, tous, me rapportent des évocations qui confirment la stature du grand joueur. Il s’agira pourtant de dépasser les ouï-dire par des interlocuteurs dotés de souvenirs vécus de visu. Côté adresse, le garagiste Claude Crinon, installé à Breteuil, mais habitant de Tartigny où il a vu évoluer Cauvel, confirme ce style de jeu puissant et long, « un placeur de balle ». À cette époque, explique M. Crinon, le jeu se révélait spectaculaire, fait de nombreux échanges qui ravissaient la galerie des spectateurs. Rien à voir donc avec les coups secs et violents qui se sont imposés dans les années 1980. Les paumistes comme Cauvel étaient des virtuoses pour toujours renvoyer la balle, même dans les positions les plus improbables. Le jeu durait et dans cet exercice le grand Jacques avait souvent le dernier mot.
La deuxième étape, pour me convaincre que je ne me berçais pas d’illusions, s’est déroulée pendant l’été 2023, lors d’un voyage au Pays basque français, qui n’était destiné à l’origine qu’à dégrossir un projet de recherche sur la notion d’autochtonie. Ce déplacement va m’obliger à renverser mon questionnement : le problème n’est plus tant de comprendre en quoi Cauvel était un phénomène, que pourquoi il n’a pas été reconnu en tant que tel ? Je dois rompre avec une évidence bien inscrite dans l’esprit de mon sport dont je suis malgré moi un produit, réaliser que la discrétion dont les grands paumistes sont, au final, l’objet, n’est en rien un fait objectivement établi à raison, mais davantage la conjonction entre l’auto-dévalorisation des paumistes eux-mêmes et l’absence de promotion au sein d’une région, la Picardie, qui s’est longtemps vécue comme un reliquat de l’histoire, coincée entre la puissante Île-de-France et la fierté des « Gens du Nord ».
Une anecdote pourrait illustrer cet état de fait. Dans le courant des années 1990, une délégation de la Fédération française de longue paume se déplaçait à Paris, reçue comme chaque année par la direction des sports du Ministère qui détenait aussi la jeunesse dans son portefeuille. Pour résumer, il y avait d’un côté la compétence sur l’éducation populaire, laquelle s’affairait autour des plus jeunes pour leur nourrir l’esprit, et de l’autre côté les activités physiques, la hiérarchie symbolique n’étant guère favorable à ces dernières. Chez les uns le jeu était un stratagème visant à assimiler des choses « sérieuses », alors que pour les autres le divertissement semblait en constituer la seule finalité (à tort évidemment). Venue négocier sa subvention annuelle, la délégation paumiste avait abordé l’entretien au sommet avec beaucoup de modestie : venue d’une petite région rurale périphérique à la capitale, elle représentait un sport « de peu » (pour reprendre l’expression de Pierre Sansot - Voir Pierre Sansot, Les gens de peu, Paris, Presses universitaires de France, 1991). Peu en vue, peu connue, peu médiatisée et peu fournie en effectifs, la longue paume ne faisait pas le poids face aux mastodontes, comme le football, le tennis et tant d’autres sports. Seul élément de comparaison, elle disposait d’un précieux trophée, rien d’autre qu’un des célèbres boucliers sculptés par le ciseleur et médailleur Charles Brennus (1859-1943) en 1892, sur un dessin original de Pierre de Coubertin, alors que ce dernier occupait le poste de secrétaire de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA). Le plus connu de ces écus a été attribué, comme on le sait, à la Fédération française de rugby et récompense chaque année l’équipe victorieuse du championnat national de jeu à XV. Les images des vainqueurs soulevant la précieuse œuvre sculptée ont fait le tour des chaînes de télévision, laissant une empreinte forte dans la conscience collective. Mais moins connue, une autre production de Brennus, bien plus belle si l’on entend les paumistes, était dédiée au championnat de France de longue paume, en première catégorie terrée évidemment. Cet honneur faisait dire au monde de la longue paume qu’il avait rivalisé, aux premières heures de la structuration sportive, avec les plus célèbres des sports. Et si l’on remontait plus loin dans l’histoire, ne disait-on pas de la paume qu’elle fut le sport des rois, et donc le roi des sports ? L’adage populaire faisait toujours son petit effet, même si on mêlait opportunément la paume à main nue et ses dérivés avec raquette, dont la longue paume. Et lorsque les rois se distinguèrent avec une raquette, ce fut plus souvent à la courte paume, dont les salles couvertes ont laissé dans la mémoire collective le fameux serment du 20 juin 1789. Quoiqu’il en ait été, cette prestigieuse lignée relevait désormais d’un passé lointain que n’ignoraient pas les membres de notre délégation picarde devant son ministère de tutelle : nous n’étions plus que quelque 1 500 licenciés. C’était peu face aux centaines de milliers, voire millions d’adhérents aux sports les plus en vogue. Aussi, quelle ne fut pas la surprise des représentants paumistes de voir le responsable ministériel contredire leur misérabilisme. Ils s’entendaient dire qu’ils n’avaient aucunement à rougir, qu’après tout la Fédération française de bobsleigh n’atteignait que péniblement les 50 adeptes… mais certes avec un patronyme connu dans la principauté de Monaco et des caméras de télévision au rendez-vous. Autrement dit, la notoriété d’un sport n’était pas toujours corrélée avec l’adhésion massive à sa pratique. La longue paume n’avait pas à rougir de modestie et c’était un haut fonctionnaire de l’État qui l’affirmait.

Jacques Cauvel et René Degouy à Breteuil, place du Jeu-de-paume, cliché Maurice Sergis à Breteuil, Probablement dans les années 1950.
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Photographie confiée par Bernard Maillard

Revenons au cœur des Pyrénées où, de village en village, on découvre avec étonnement le succès des différentes formes de pelote sur ce territoire, pourtant fort circonscrit. Aux yeux d’un Picard, c’est là un choc. Non seulement les frontons sont entretenus, fraîchement repeints, pavoisés, mais qui plus est fréquentés avec fierté. Les quelques bancs qui bordent les places de nos jeux de paume supporteraient mal la comparaison avec les hautes tribunes encadrant les jeux basques. À Saint-Jean-Pied-de-Port par exemple, sur la frontière avec l’Espagne, un simple entraînement de quelques jeunes peloteurs, encadrés par un adulte convaincu, est suivi par plusieurs dizaines de spectateurs. Devant l’entrée du fronton, une voiture aux couleurs du club local est surmontée d’un amplificateur pour annoncer les rencontres à venir. Trouver les dates et lieux de celles-ci revient à se rendre sur le site internet de l’office du tourisme du Pays basque, qui en fait grand cas. Trouver un ouvrage sur la pelote en général, ou à propos d’une de ses variantes, n’a rien de complexe. D’ailleurs, l’ancienne prison de Saint-Jean abrite un musée quasiment intégralement consacré à ces jeux. Mais le même succès se retrouve à Bayonne, où le musée basque consacre une grande salle à ces sports aussi variés que vivants.
De retour en Picardie, il n’est pas difficile de comprendre le plaisir pris à parcourir ce morceau de Basse-Navarre. Pourrait-on imaginer à Plainville, sur les baies vitrées d’un bâtiment communal, des posters de paumistes locaux en pleine action (?), comme dans le village de Bidarray (seulement 650 habitants), où l’on fait connaissance avec les célébrités du lieu comme s’il s’agissait de stars. Et indéniablement elles le sont pour les habitants. Les jeux y sont ainsi des marques de différenciation, comme le chant ou les chasses des palombes au moyen de grands filets, que l’on continue à pratiquer dans les cols pyrénéens. Pour exister face aux tendances à l’uniformisation, les Basques cultivent tout ce qui peut contribuer à les distinguer. Le contraste avec la Picardie est en ce sens assez saisissant.

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Un palmarès à faire pâlir les meilleurs

Il paraît assez évident que si Jacques Cauvel avait été pelotari, son souvenir serait parvenu jusqu’à nous. On peut imaginer que la place du Jeu-de-paume de Breteuil porterait son nom ou que Tartigny, son village natal, lui aurait dédié le nom d’une de ses rues. Il n’en est rien pourtant et sans vouloir sombrer dans une psychologie des tempéraments régionaux peu scientifique, cet état de fait interpelle la réception que la Picardie fait à ses talents. Le Pays basque en constitue une antithèse géopolitique radicale : coincé entre deux États, aux extrémités de chacun d’eux, doté d’une langue dont on entretient le mystère des origines, allant jusqu’à revendiquer son indépendance, le Navarrais cultive sa différence dans les moindres détails, jusqu’au bout de ses pieds en espadrilles… typiquement basques.
Les jeux de pelote participent ainsi à une image irrédentiste qui sert les ambitions différentialistes du Pays basque. Ils le font encore en entretenant la figure de cette Force basque, dont les différentes épreuves perdurent encore aujourd’hui. À l’inverse, lesdits « jeux de balle picards » (balle au tamis, ballon au poing, balle à la main et longue paume) résistent péniblement à leur extinction, celle de la balle au tamis étant désormais entérinée.
Mais au-delà de cette Picardie périphérique qui a perdu son statut de région administrative, le paumiste Jacques Cauvel était lui-même un grand discret. Faut-il y voir un trait de caractère lié à sa condition socioprofessionnelle ? Les travaux du sociologue Pierre Bourdieu et de ses continuateurs ont en effet suffisamment montré comment l’appartenance sociale conditionnait l’art de se raconter (Ajoutons que nous autres, universitaires, constituons la caricature ultime de cet art, consommé sans modestie… En cela nous nous situons aux antipodes des classes populaires et de la petite paysannerie, très longtemps parlée plus qu’elle ne s’est parlée. Voir Pierre Bourdieu, « Une classe objet », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n°17-18, 1977, pages 2 à 5. Il s’agit de l’introduction du dossier : « La paysannerie, une classe objet »). Or, Cauvel est un homme de la truelle plus que des « belles lettres ». Ouvrier maçon, il bâtit lui-même sa maison, face à l’actuel collège Compère-Morel de Breteuil. C’est ainsi un homme sans prétention, à l’image de sa région et de sa condition professionnelle, pourtant fort honorable.
Plus encore, si on s’intéresse à son parcours sportif on reste stupéfait. Voici comment Benjamin Blériot (Athies, Somme), qui consacre actuellement son temps libre à la rédaction d’un ouvrage sur la longue paume, résume le personnage : « Virtuosité, adresse, puissance, la science du meilleur joueur individuel… Il ne s’agit nul d’autre que Jacques Cauvel. » Il fut en effet victorieux à huit reprises du championnat de France individuel en première catégorie, une performance qui le consacre en 1937, 1938, 1947, 1948, 1950, 1951, 1952 et 1953. C’est là un record proprement prodigieux puisque, né le 15 février 1923, il n’a que 14 ans lorsqu’il signe sa première prouesse. Mais surtout il ne parvient pas à cette réussite par l’avantage d’une équipe surpuissante qui l’aurait hissé au sommet. C’est en individuel qu’il l’emporte, et au meilleur niveau. Dit ainsi, cela fait simplement penser à ces enfants-prodiges, produits pour la performance dans nos sociétés qui savent tout mettre en œuvre, dès le plus jeune âge, afin de littéralement construire des machines à gagner, quel que soit le domaine. Mais rien de tel dans l’Entre-deux-guerres qui a bien d’autres sujets de préoccupation. Pour un ancien paumiste maintenant, cette réalisation, à seulement 14 ans, soit en catégorie cadet, est proprement impossible. Comment imaginer qu’un enfant puisse disposer de la puissance nécessaire, du sens du jeu indispensable, des qualités mentales exigées afin de venir à bout d’adversaires beaucoup plus expérimentés que lui (?), au sommet de leur art. Un accident de l’histoire ? Je dois bien reconnaître que la lecture du palmarès cauvélien m’a laissé dubitatif dans un premier temps. Pour ma génération, le simple fait d’avoir connu Jean-François Ricque (de Rosières-en-Santerre), être surclassé de cadet à la troisième catégorie, sans passer par la case quatrième, frisait l’insolence. Ce cas unique, à ma connaissance, ne l’amena toutefois pas à remporter à cet âge le championnat de France en première catégorie, ce qui aurait fait de lui le meilleur joueur du moment. Mais Cauvel lui, l’avait fait et on ne pouvait pas l’expliquer par des circonstances opportunes, puisque la chance ne s’appelle plus ainsi lorsqu’elle se reproduit huit fois.

Alain Cauvel, un de ses fils, devant les médailles conservées de Jacques Cauvel
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Cliché Christophe Baticle, à Breteuil, le 3 janvier 2024.

ENCADRÉ 1
LE PALMARÈS DE JACQUES CAUVEL

Nous empruntons ici à Benjamin Blériot les éléments qu’il a pu compiler quant aux victoires du champion. Il y a fort à parier que cette liste ne comporte pas les coupes plus modestes remportées au fil de cette longue carrière sportive. Souvent, en effet, les grands joueurs ne conservaient que les médailles offertes lors des championnats et les archives paumistes relevaient principalement ces compétitions fédérales. Pourtant, bien des coupes de village furent disputées avec la ténacité due à un championnat. On trouve d’ailleurs dans la presse des précisions, comme la coupe du Centenaire, disputée sur le terrain de la Hotoie à Amiens et remportée en double avec René Degouy en 1947, 1948, 1949 et 1950 (Courrier Picard du 31 août 1950). Dans l’édition du 28 juillet 1952 de ce même journal, Cauvel est qualifié de « prestigieux joueur de Tartigny », alors qu’il vient d’emporter en individuel et « avec un brio remarquable » la coupe Rouillard-Sports, qu’il avait déjà conquise l’année précédente. Alors que le tournoi se déroule par élimination directe, il ne concède que deux jeux à ses adversaires, en quatre matchs. Ces derniers se disputant en cinq jeux gagnants, il aurait pu obtenir la victoire en en concédant seize. Les photographies nous permettraient également d’en savoir davantage. Sur celle où posent les joueurs de Breteuil, à l’inter-saison 1947-1948, on aperçoit « le lion », un challenge qui récompensait généralement le championnat de l’Oise en six contre six (donc parties dites « terrées »), première catégorie.

Championnats de France
En individuel, vainqueur du championnat de France première catégorie

  • 1937, 1938, 1947, 1948, 1950, 1951, 1952 et 1953, soit huit premières places au total. Il l’emporte ainsi à 14 ans et 15 ans, puis jusqu’à sa trentième année.

En deux contre deux, vainqueur du championnat de France première catégorie

  • 1938, 1947, 1948, 1949, 1950, 1951 et 1954, soit sept fois. À Breteuil il formait alors un duo de choc avec René Degouy.

En quatre contre quatre, vainqueur du championnat de France en première catégorie

  • 1947, 1949, 1951 et 1953.

En deux contre deux, vainqueur du championnat de France en deuxième catégorie

  • 1939.

En quatre contre quatre, vainqueur du championnat de France en deuxième catégorie

  • 1938 et 1939.

En six contre six, vainqueur du championnat de France en deuxième catégorie

  • 1938

Championnats de Picardie
En quatre contre quatre, vainqueur du championnat de Picardie en première catégorie

  • 1943

En quatre contre quatre, vainqueur du championnat de Picardie en deuxième catégorie

  • 1943

Championnats de l’Oise
En six contre six, vainqueur du championnat de l’Oise en deuxième catégorie

  • 1937

Challenge Raynal (Gabriel-Joseph Raynal, le fondateur de la Fédération nationale, né à Montdidier en 1866)

  • 1953. Il était couramment disputé en quatre contre quatre.

Coupe Devillers 1938.

FIN DE L’ENCADRÉ 1

Jacques Cauvel était ainsi bel et bien un joueur d’exception puisque seul il l’emporte au meilleur niveau, lorsqu’accompagné il lui faudra plus de temps ; le temps de forger une équipe de sa trempe. De la sorte, en 1937, année où il explose, il devient également champion de l’Oise en deuxième catégorie, seulement voudrait-t-on ajouter, mais c’est en formation de six joueurs contre six. Il réitère d’ailleurs l’année suivante, mais cette fois en emportant aussi le championnat de France dans la même catégorie, en quatre contre quatre.
Et si même Cauvel avait été un chanceux éhonté, comment expliquer qu’à trente ans il soit encore le meilleur des paumistes en individuel ? Que lui aura-t-il manqué au final ? Le fameux bouclier de Brennus qui est attribué à l’équipe victorieuse du championnat de France terrée (six contre six). Même avec un énorme potentiel, il s’agit là d’avoir cinq coéquipiers d’un très haut niveau.
Je me dois d’épargner la patience de ceux qui m’ont suivi jusqu’ici. La déclinaison détaillée du palmarès de celui qui a incarné la longue paume, pendant plus de quinze années, prendrait beaucoup de temps de recherche et resterait incomplète. On me reprocherait de n’avoir pas dit un mot de ses talents de cycliste, d’accordéoniste, sans parler de ses inventions, car il fut aussi inventeur, touche-à-tout de génie, réfractaire au STO, entre autres expériences. Je voudrais plutôt laisser la parole à l’une de ses belles-filles, Colette, qui retint de lui « l’homme charmant, qui s’intéressait à beaucoup de choses » et… qui retirait sa casquette lorsqu’il arrivait sur le pas de la porte. Laisser également le mot de la fin à son fils aîné, Alain, qui fournit l’explication de cette amnésie collective : « Chez nous, on a trouvé ça normal certainement… on ne parlait pas de ça. Il disait pas grand-chose de tout ce qu’il faisait. Il allait le dimanche faire sa compétition. Il revenait avec des médailles, il avait une coupe… et puis voilà. »
Il serait peut-être temps de ne plus laisser au temps la mauvaise idée d’effacer le souvenir de cet homme fait pour les superlatifs, jusqu’à sa discrétion extrême.

ENCADRÉ 2
JACQUES CAUVEL DANS L’OPUSCULE

Les paumistes ne comptent pas parmi les plus grands écrivains et c’est gênant pour qui veut reconstituer les événements antérieurs à la généralisation des appareils photographiques. On dispose de quelques ouvrages néanmoins, tel celui de Marcel Lazure (Marcel Lazure, Les jeux de balle et de ballon picards : Ballon au Poing, Longue Paume, Balle à la Main, Balle au Tamis, Amiens, Centre régional de documentation pédagogique de Picardie, deuxième trimestre 1996 [seconde édition], 119 pages), considéré par les paumistes comme la référence ou encore, mais moins connue, l’étude ethnographique consacrée aux jeux picards par Marie Cegarra (Marie Cegarra, Jeux de balle en Picardie. Les frontières de l’invisible, préfacé par Nadir Marouf, Paris, L’Harmattan, janvier 2000, « Les cahiers du CEFRESS », 262 pages.), dans une veine plutôt inspirée par le structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Par ailleurs, on trouve encore quelques brochures, dont celle de Maurice Michel intitulée sobrement « La longue paume » et rééditée en 1988 sous le format A5 typique de l’Opuscule dont nous traiterons ci-dessous. Raymond Péchon a également livré ses souvenirs d’enfant consacrés à ce sport : « Longue paume, amour d’enfance », paru en 1974. Enfin, Michel Bourgeois, le petit-fils de Gabriel Bourgeois, fondateur de l'Union des Sociétés de Longue Paume de l'Oise (USLPO) en 1908, a fait paraître en 2020, aux éditions L'Harmattan, Le jeu de paume : histoire en France et pratique actuelle à Paris et en Picardie, fort de plus de 200 pages très documentées.
Il y a encore, pour les historiens, ce que le monde paumiste appelle donc « l’Opuscule ». C’est une publication annuelle depuis 1928, qui recense tous les joueurs licenciés à la fédération nationale, par société, avec mention des présidents de club, voire de correspondants locaux. On y trouve encore le calendrier annuel et la composition des comités directeurs de cette fédération, des unions départementales (soit d’une part l’Union des sociétés de longue paume de la Somme et d’autre part l’Union des sociétés de longue paume de l’Oise et des communes limitrophes du département) et enfin de la Ligue de Picardie à partir de la création de celle-ci, ainsi que de l’association plus récente Longue Paume équipement, prévue pour organiser la fabrication des balles et la distribution des raquettes.
Tout paumiste vous dira que l’Opuscule reste un inventaire à prendre avec prudence, dans la mesure où il ne reflète pas exactement la réalité de la pratique. On peut en effet y trouver des noms de paumistes maintenus sur les listes parce que dirigeants ou encore pour leur rendre les honneurs d’un long passé de pratiquant. En bref, les listes contenues dans ce document n’équivalent pas à une pratique systématique. Mais à l’inverse, on peut exercer la longue paume sans être nécessairement licencié et nombre d’enfants se livrent à ce sport dans les écoles où interviennent des animateurs rémunérés par les structures paumistes, alors qu’ils ne sont pas inscrits dans l’Opuscule. Au final, il n’y a pas de raison suffisante pour penser que les listes d’antan étaient plus, ou moins faussées qu’aujourd’hui et l’Opuscule reste malgré tout le meilleur moyen d’évaluer qui pratique et où.
Concernant Jacques Cauvel, Benjamin Blériot note qu’il commença sa carrière de paumiste à Tartigny, son village natal, puis se joindra à la Société de Breteuil, avant de revenir à Tartigny. C’est exact, même s’il est possible de compléter ce parcours en consultant plusieurs sources. Tout d’abord avec un article de l’hebdomadaire de presse locale Le Bonhomme picard, daté du mois de septembre 1995, dans lequel la journaliste Sylvie Godin (qui s’était entretenu avec le champion à l’occasion d’une exposition organisée par la Société historique de Breteuil et la Société de longue paume de Plainville, à Plainville même), mentionne également le club d’Ansauvillers, ce que confirment les opuscules allant de 1957 à 1975, a minima.
L’année où il arrive à Ansauvillers il y est le seul joueur classé en première catégorie. Il ne vient donc pas rejoindre des coéquipiers à même de relancer sa carrière. Il le restera d’ailleurs au moins jusqu’en 1965. En 1974 on trouve avec lui à ce niveau un dénommé Walter Heytmann, ainsi que le même la saison suivante, où sa société d’adoption compte 42 licenciés, soit une certaine opulence pour un club de longue paume. Autrement dit, pendant ses années à Ansauvillers, la locomotive Cauvel généra de prometteurs wagons. Il arrivait d’ailleurs de Tartigny, où il était revenu une première fois, et non de Breteuil comme on pourrait l’imaginer. Tartigny où en 1956 il pouvait compter sur de solides équipiers en les personnes de Pierre Damay et Lucien Dubuquoy, tous deux également classés en première catégorie. L’année précédente s’ajoutait Guy Durez à cette fine fleur paumiste, soit quatre raquettes au meilleur niveau.
Cauvel était revenu dans son club d’origine quelques années auparavant. On le retrouve de la sorte à Tartigny en 1952, alors qu’en 1949 il faisait encore profiter Breteuil de ses talents. Le club comptait alors seulement 26 joueurs, mais son fidèle coéquipier René Degouy était à ses côtés, lui aussi classé en première. Un club britulien qui s’est même renforcé de plusieurs joueurs par rapport à l’année précédente, où Cauvel était déjà là. Le chef-lieu de canton fut important dans le petit monde paumiste et fournit à l’Union des sociétés de longue paume de l’Oise deux de ses présidents : le marchand épicier Henri Gamache (1873-1941), de 1909 à 1919 et le marbrier Auguste Boussard (1873-1943), de 1933 à 1934. Visiblement Breteuil va également correspondre aux premières années d’après-guerre pour le grand Jacques et ce sont des années fastes.
Il reste néanmoins des énigmes dans ce parcours hors-pair. Ainsi, même s’il avait déjà remporté le championnat individuel première catégorie à deux reprises, Cauvel se trouvait classé en deuxième catégorie en 1939, alors à Tartigny. Comment l’expliquer ? Avait-il été rétrogradé, ou plus sûrement son niveau de jeu lui aurait-il permis de se confronter aux meilleurs ? Cette année-là, Édouard Cauvel est président du club, qui compte 29 licenciés. L’année précédente, c’étaient 37 joueurs inscrits sous la houlette du même, mais Jacques Cauvel n’était alors que troisième catégorie. Il n’avait également que quinze ans. Plus surprenant, il n’était classé qu’en quatrième catégorie A en 1937, année de ses premiers exploits. À cette époque, on commençait en effet la pratique en quatrième B, quel que soit son âge. La longue paume restait alors une affaire d’adultes, et lorsqu’il se trouvait des mineurs pour pratiquer ils venaient se greffer à la confrérie des majeurs en grossissant les effectifs de la toute première catégorie : la quatrième B. C’est ce que fit Jacques Cauvel entre 1933 et 1936, soit entre ses dix et treize ans. En revanche, on ne le retrouve pas dans le tout premier opuscule de 1928, même s’il avait alors cinq ans, âge où il prenait en main la raquette pour la première fois. Il s’inscrivait alors dans une certaine lignée car, en plus de son père Édouard, un autre Cauvel se trouvait dans la liste des paumistes de Tartigny, Étienne, le frère jumeau du premier, donc son oncle, artisan-menuisier dans le village. Son père était déjà vice-président du club et Étienne trésorier. Un club de 28 joueurs avec, pour président d’honneur, le général d’Haudicourt de Tartigny.
Là où il avait commencé termina donc Jacques Cauvel paumiste. On l’y retrouve en 1985. Il est toujours classé en première catégorie, mais il a désormais plus de soixante ans. Dans ces années on ne déclasse pas les champions. D’après ses dires il aurait pratiqué jusqu’à ses soixante ans. On peut donc considérer que ses dernières années d’inscription dans l’Opuscule, il les passe comme première honorifique, soit jusqu’en 1998. L’Union des sociétés de longue paume de l’Oise et des communes limitrophes compte alors encore une quinzaine d’associations, mais Tartigny n’est plus la société qu’elle a été, avec seulement sept derniers inscrits. Qu’importe, jusqu’à ses dernières années Jacques Cauvel viendra admirer le jeu à l’ombre des grands tilleuls qui bordent le terrain, alors encore propriété du château, avant d’être cédé pour le numéraire symbolique à la Fédération française de longue paume. Mais j’ai encore son souvenir en mémoire lorsque Breteuil avait organisé le Tournoi Inter-Unions, qui voyait s’affronter des sélections des meilleurs joueurs et joueuses de l’Oise et de la Somme, en 1991. Il avait l’œil toujours aussi vif et je n’étais pas qu’un petit peu impressionné de le voir observer de la touche.

Jacques Cauvel pose avec d’autres joueurs à Rollot (Somme)
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Photographie confiée par Bernard Maillard

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